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Le Nomadisme au Kirghizistan : La Chasse au Vol

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L’héritage de la chasse au vol

La chasse au vol consiste à employer un oiseau de proie entraîné à chasser une proie et à la tuer pour son dresseur. Si la fauconnerie est une pratique qui n’a jamais été très répandue en Europe, les nomades de la route de la soie, quant à eux, ont très longtemps fait appel aux oiseaux de proie pour chasser. Ils s’aident principalement d’aigles d’autours et de faucons. Cet art séculaire a, selon toute vraisemblance, été développé par les Kirghizes qui vivaient sur le territoire du Kirghizistan actuel et dans les régions jouxtant le Tadjikistan. Il est inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco depuis 2010.

Les premiers témoignages écrits au sujet du recours à l’oiseau de proie pour la chasse datent du XIIIème siècle. L’un des premiers témoins n’est autre que Marco Polo, qui, lors de son séjour auprès du khanmongol Koubilay (1214-1294), nota : «[Koubilay] a aussi une grande multitude d’aigles fort bien dressés à prendre loups, et renards et daims et chevreuils et lièvres et d’autres petits animaux à planté. Et ceux qui sont dressés à prendre loups sont très grands et puissants, car sachez qu’il n’est loup si grand qu’il ne soit pris». On peut en conclure que cet art, puisque déjà maîtrisé à cette époque, doit dater d’une période bien antérieure au XIIIème siècle.

Cette tradition, probablement millénaire, a été interdite pendant la période soviétique, ce qui a bien failli la faire disparaître complètement. Elle a cependant survécu dans trois villages kirghizes. Les dernières familles d’aigliers de père en fils habitent principalement le village de Bokonbaev, au sud du lac Issyk Kul. Le souhait de renouer avec les traditions nomades habite de plus en plus de kirghizes, qui, tiraillés entre l’influence soviétique et leur héritage ancestral, se retrouvent déracinés, en mal d’identité. Ils tentent aujourd’hui d’ériger des pratiques plus ou moins authentiques au rang de tradition. Ces familles, quant à elles, n’ont jamais cessé de perpétuer leur art. Elles se sont donné pour mission de faire renaître la chasse au vol au Kirghizistan.

De la nature de l’oiseau dépend la technique de chasse

Tous les oiseaux de proie, jïrtkïč kuš en kirghiz, ne sont pas domesticables. C’est pourquoi les principales espèces utilisées par les nomades kirghizes sont l’aigle, l’autour et le faucon. Selon leurs caractéristiques physiques, on chassera avec eux de différentes manières. De plus, comme on le verra plus tard, tous les oiseaux de chasse ne tuent pas leurs proies de la même façon.

La technique de bas vol

Pour cette technique, aussi appelée autourserie en France, on privilégie l’emploi d’oiseaux aux ailes courtes et arrondies ainsi qu’à la queue importante, leur permettant de brusques changements de direction. Il s’agit principalement de l’autour, de l’épervier et de l’aigle. L’oiseau part du bras de son maître et fond en quelques secondes sur sa proie, débusquée par son collègue canin. Cette technique est considérée comme un passage obligé de la chasse au vol. Elle permet à l’oiseau d’emmagasiner rapidement beaucoup d’expérience.

La technique de haut vol

Le  haut vol, ou fauconnerie, n’emploie que des faucons. Contrairement à la technique du bas vol, ce dernier est déjà en vol lors du départ du gibier. On habitue l’oiseau à monter à la verticale du fauconnier et de son chien d’arrêt. Une fois la proie débusquée, l’oiseau pique alors à plus de 300 km/h, ne laissant aucune chance de fuite à sa cible.

Oiseaux de chasse de bonne et de mauvaise qualité

Au Kirghizistan, le qualificatif algïr est donné aux oiseaux qui remplissent très bien leur rôle de chasseur. Quant à kïran, les aigliers kirghizes s’en servent pour désigner les oiseaux de chasse de bonne qualité, en les opposant aux oiseaux de chasse de mauvaise qualité, qualifiés de jaman.

Cette opposition correspond dans les grandes lignes à la distinction que font les fauconniers français entre oiseaux nobles, c’est-à-dire disposés à l’entraînement pour la chasse, et oiseaux dits ignobles, c’est-à-dire les oiseaux de proie non domesticables. En kirghiz cependant, certains oiseaux de chasse, bien que domesticables, peuvent tout de même être qualifiés de jaman (de mauvaise qualité), car ils ratent souvent leur proie.

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L’art de la fauconnerie est une tradition ancestrale chez les kirghizes. On dresse fréquemment des aigles royaux ou des faucons pour la chasse. Photo prise lors d’une démonstration de chasse avec un fauconnier kirghize. Crédit Photo : Nicolas Lescureux.

Comment les aigliers nomades distinguent leurs oiseaux de chasse

La classification extrêmement compliquée et exhaustive des oiseaux de proie par les aigliers nomades témoigne de l’âge immémorial de cette tradition. L’ethnographe kirghiz Belek Soltonoev a tenté de la retranscrire par écrit, au début du 20ème siècle.

Selon la couleur des yeux

La distinction persane entre Accipitridés (oiseaux de chasse aux yeux jaunes) et Falconidés (oiseaux de chasse aux yeux noirs) est en vigueur aussi au Kazakhstan et au Kirghizistan. En kazakh, le « groupe des yeux šegir » (jaunes) comprend l’autour commun, l’autour blanc et l’épervier de même qu’en kirgiz la « lignée des čekir » comprend les différentes variétés d’autours et d’éperviers. Le « groupe des yeux noirs » comprend les différentes espèces de faucons, ainsi que les aigles, également placés dans le groupe des oiseaux aux yeux noirs.

Selon la façon de tuer les proies

Les aigliers superposent à la classification par couleur d’yeux un autre regroupement, la façon de tuer les proies. Ainsi les oiseaux de chasse aux yeux jaunes sont des oiseaux qui tuent leurs proies en les accrochant, se distinguant des oiseaux de chasse aux yeux noirs qui tuent leurs proies en les percutant. Ce type de regroupement n’est cependant plus pratiqué de nos jours que par les aigliers kazakhs.

Selon l’aspect de l’oiseau

Les critères de ces regroupements sont tellement nombreux et complexes que l’on ne saurait tous les énumérer ici. Les plus importants d’entre eux sont la physionomie, la charpente (le squelette), l’allure, le tempérament, la perspicacité la couleur, la lignée et la parenté. A partir de ces critères principaux, les aigliers de la route de la soie classent leurs oiseaux de chasse en quatre groupes:

  1. Les karšïga ou autours, comprenant les autours communs, les autours blancs et l’é
  2. Les suŋkar ou faucons gerfauts, comprenant les gerfauts à proprement parler, le faucon sacré et le faucon hobereau.
  3. Les lašïn ou faucons pèlerins, comprenant le faucon pèlerin et le faucon émerillon.
  4. Les bürkit ou aigles.

 Le dressage de l’oiseau, un travail de longue haleine

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Jeti-Öghüz – L’aigle Tamara en tête à tête avec son dresseur portant un chapeau de feutre et d’autres habits traditionnels kirghizes. Elle a 10 ans et a gagné plusieurs compétitions de chasse. Crédit Photo : Dan Lundberg
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Un oiseau de proie peut vivre extrêmement longtemps. Les aigles peuvent avoir une espérance de vie de plus de 30 ans ! Aussi, l’entraînement de ce dernier est intensif et long. Les chasseurs, après avoir capturé leur oiseau, l’isolent dans une cage et l’habituent à leur voix, pour qu’il ne finisse par obéir qu’à celle-ci. Une fois cette étape franchie, vient la phase d’entraînement intensif, qui peut demander jusqu’à 5 années de travail.

Les premières années de la vie de l’animal sont dédiées à l’apprentissage des différents animaux qu’il devra chasser. Pour cela, le chasseur le nourrira lui-même, en le mettant en contact avec les fourrures correspondantes, pour qu’il les associe avec la nourriture qu’il apprécie. Au bout de quelques années, l’entraînement en situation réelle peut commencer. Les oiseaux chassent d’abord des animaux empaillés. Une fois acquises agilité, rapidité et précision mortelles, ils auront mérité d’accompagner enfin leur maître à la chasse au lapin, au renard ou même au loup !

En savoir plus sur la chasse au vol au Kirghizistan

La richesse des connaissances accumulées par les pratiquants de cet art ancestral de la route de la soie indique clairement que les aigliers kirghizes actuels jouissent d’un héritage culturel extrêmement ancien. La transmission de ces connaissances se faisant principalement par oral, il est difficile de trouver des sources manuscrites à ce sujet. La meilleure solution est donc de rencontrer directement les chasseurs kirghizes, non loin du lac Issyk Kul, à seulement quelques heures de route de Bichkek.

Nous avons également quelques ouvrages à vous suggérer, qui traitent soit exclusivement de la chasse au vol, ou qui couvrent de multiples facettes culturelles de l’héritage nomade kirghiz.

Si vous souhaitez approfondir vos connaissances sur les traditions nomades de la route de la soie, nous vous proposons donc les lectures suivantes, qui vous permettront de mieux saisir l’importance de la culture nomade au Kirghizistan et les raisons pour lesquelles ce mode de vie revient au goût du jour :

Jacquesson, S. (2000). Les oiseaux de chasse en Asie Centrale : savoirs et pratiques – Thèse pour obtenir le grade de docteur. Paris : Institut national des langues et civilisations orientales.

Le Roy, K. (2016). Ashayer. Paris : Amu Darya.

Cagnat, R. (2003). En pays kirghize, Visions d’un familier des monts Célestes. Paris : Transboréal.

Cet article vous a donné envie de partir à la découverte des aigliers kirghizes?

N’hésitez pas à contacter l’équipe d’EcoNomad qui se fera un plaisir de vous organiser un voyage chez eux et de vous guider à travers le Kirghizistan !  Nous répondons également volontiers à vos questions sur notre page Facebook. Entre temps, voyagez virtuellement grâce à nos reportages photo sur Instagram.

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